Opinioni in francese

Une contribution par la voie des ondes

Le 11 août 1998, Pascal Marchetti, Christophe Canioni et Paul Colombani ont été les hôtes de Patrice Antona à la radio régionale RCFM. Ils avaient été invités à présenter le livre La question de la langue en Corse.

Question:
Paul Colombani, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est cette publication A Viva Voce ? 

Réponse:
A Viva Voce est une revue que je n’ai pas créée. Ele a été fondée il y a quelques années par un groupe de Corses sous les auspices de la Société Dante Alighieri de Bastia. Ces Corses ont voulu faire quelque chose d’original. Ils pensaient qu’étant donné la place assignée par l’histoire à la langue et à la culture italiennes en Corse, une revue en Italien dans l’île ne pouvait pas ressembler à une revue en italien publiée à Lyon, par exemple, ou ailleurs. A Viva Voce rassemble des gens provenant de différents horizons, mais tous pensent qu’il faut tenir compte pour la Corse, pour la culture corse et pour la langue corse, de la place privilégiée dont la langue et la culture italiennes ont toujours joui chez nous.
Q
Pourquoi avez-vous voulu présenter en volume et en français certains textes déjà publiés précédemment dans A Viva Voce ? 

R
Parce que nous pensons pouvoir ainsi atteindre un public plus vaste. La règle du jeu d’A Viva Voce est que la revue est écrite en italien, avec quelques articles en corse. Pour s’exprimer en français ou simplement en corse (nous n’avons rien contre le corse évidemment) il existe d’autres revues. En fait, bien des gens pourraient lire A Viva Voce en italien, mais nous craignons que certains, voyant que la revue est écrite dans cette langue, s’imaginent qu’ils ne pourront pas comprendre. C’est pourquoi nous avons décidé de publier une traduction à part, ce qui nous permet, sans contrevenir à la règle d’A Viva Voce, qui est d’être écrite en italien, d’atteindre un public auquel, malheureusement, cette langue n’est pas familière.
Q
Vous, Paul Colombani, vous enseignez l’italien à l’Université de Nantes et en ce qui concerne Pascal Marchetti, qu’il n’y a plus besoin de présenter, nous rappelerons néanmoins quelques unes de ses oeuvres: le tès célèbre Intricciate e cambiarine est de 1971, puis en 1974 c’est l’aussi célèbre Assimil, Une mémoire pour la Corse en 1980 et La Corsophonie, un idiome à la mer en 1989. Pascal Marchetti, vous écrivez dans un de vos textes qu’à l’époque de ce qu’on a appelé le Riacquistu, on a fait reverdir la branche séparée du tronc, c’est-à-dire la langue corse, et qu’il faut maintenant faire circuler la sève nourricière. 

R
Tout à fait. Le corse s’est nourri pendant des siècles de l’ensemble des langues de son aire géographique, culturelle, historique. C’est cela qui a créé la langue corse, le tissu de la langue corse vient en grande partie de la Terre Ferme et nous pouvons assimiler l’ensemble des langues romanes de notre aire à un tronc dont le corse aurait été séparé parce qu’il est passé dans une autre aire, celle du français. Faire reverdir la branche signifie replacer le corse dans son aire conformément à ses origines, son histoire, sa grammaire et sa syntaxe qu’il a en commun avec les parlers de la péninsule, et donc redonner au corse ce qui appartient à sa nature, parce que l’isoler, en faire une branche séparée, une branche morte, signifie évidemment le tuer définitivement. Le corse doit pouvoir continuer à recevoir la sève nourricière et s’alimenter, sinon il dépérira. Alors, évidemment, on peut dire qu’il y aura le français, certes, mais il n’y aura plus le corse. Pour que le corse puisse vivre pour son compte il doit chercher la sève où il l’a toujours trouvée pendant son histoire.
Q
Vous avez éprouvé le besoin dans l’un des textes intitulé Salvare il salvabileIci Sauver ce qui peut l’être encore.
d’énoncer certaines évidences. Vous pouvez nous les rappeler ? 

R
Les évidences sont que la connaissance de l’italien (je ne dis pas que l’on doive remplacer le corse par l’italien, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit) est utile pour le corse, et, en ce qui concerne la propagation du corse par l’enseignement, il est évident que l’on ne peut faire un travail utile sans enseigner la connaissance des règles communes au corse et à l’italien, en ignorant totalement leur héritage commun. Une autre est que l’on ne peut laisser le corse seul aux prises avec le français, parce qu’on aurait une nouvelle édition de la fable du pot de terre contre le pot de fer. Une autre évidence: le corse est jusqu’ à présent dépourvu, et je le regrette, de tous les moyens modernes, il lui manque toute la terminologie moderne. Nous avons essayé avec l’ADECEC de Cervione pendant les années 70-75 de créer de petits dictionnaires pour mettre le corse à jour. Personne n’a tenu compte de ces petits travaux qui n’étaient peut-être pas parfaits mais qui existaient et pouvaient être améliorés. Il est évident que les Corses dans leur conscience collective éliminent le passage du corse au langage technique de la modernité. Ce refus du corse de se moderniser est un handicap. Un autre handicap, la multiplicité de la morphologie en corse. Il est évident que nous nous comprenons, mais pour faire une langue officielle il faut une unité, il faut des normes. Ces normes nous ne les avons pas.
Q
Vous vous rendez compte que par rapport à tous les défenseurs de la langue ce que vous dites, avec Paul Colombani, est polémique 
?
R
Non, pas du tout. Parce qu’on me permette de rappeler que moi- même je suis l’un des défenseurs de la langue, pour ne pas dire l’un des principaux. Je n’entends pas donc polémiquer contre ces défenseurs dont je fais partie. Je constate simplement des faits. Lesquels? Le corse, malgré tous les efforts accomplis pour le sauver ne se porte pas mieux. Bien sûr on chante en corse, on publie des oeuvres littéraires, qui ont certes très peu de lecteurs, mais elles existent, il y a quelques points positifs. Mais dans la pratique vivante le corse est en train de disparaître. D’ailleurs il y a une statistique très simple à faire: celle des avis de décès publiés dans les journaux régionaux. Il y a environ dix morts corsophones par jour, dix par jour pendant environ trente ans, faites le compte. Par qui ont- ils été remplacés? Par des corsophones? Non, par des gens qui ne parlent pas le corse. Donc il est voué à disparaître. Bien entendu il restera des chants, il restera toujours quelque chose comme pour le monégasque ou d’autres langues pratiquement disparues, mais dans les faits le corse n’existera plus. Je pense qu’en le ramenant vers ses racines, en le réinsérant dans un ensemble qui est le sien, parce que le corse appartient au groupe italien, il faut le dire clairement, on n’insistera jamais suffisamment sur ce fait….
Q
Mais cela personne ne le nie, je crois, 

R
… et pas au groupe espagnol, on lui ouvre le chemin du salut. Si l’italien en Corse est mis sur le même plan que l’espagnol, l’arabe ou l’allemand, on commet une très grave erreur. Voilà ce que le groupe d’A Viva Voce entend démontrer et c’est ce en quoi je suis d’accord avec eux, parce qu’en ce qui me concerne je ne suis qu’un collaborateur occasionnel d’A Viva Voce, mais je suis d’accord avec ce qu’ils font.
Q
Paul Colombani, vous proposez la création de situations qui permettraient de parler italien et donc de ramener la langue corse à l’intérieur de son milieu naturel ? 

R
Evidemment, parce que les langues sont toujours parlées dans une situation déterminée. C’est vrai pour toutes les langues, les professeurs de langues le savent bien. Le problème du corse c’est que ces situations n’existent pas. Bien sûr on peut organiser des bains linguistiques, mais quand les élèves sortent de l’école ils se trouvent dans un milieu qui ne parle pas corse. Donc le seul moyen de recréer des mécanismes qu’avaient les gens de mon âge et que les nouvelles générations n’ont plus, c’est, pour l’instant du moins, de plonger les élèves dans un milieu qui les pousse à parler quelque chose qui ressemble au corse, de les mettre en contact avec une langue véritablement utilisée, et la langue tout indiquée c’est l’italien. Parce que, comme vient de l’expliquer Pascal Marchetti, il est vrai que le corse fait partie de la famille des langues romanes, mais ce n’est pas une langue romane comme les autres. On ne peut pas soutenir l’équidistance par rapport au corse de l’italien d’un côté et de l’autre de l’espagnol, du portugais, etc. L’italien a una fonction spécifique en Corse. L’île a toujours vécu en contact non seulement avec l’italien mais avec les différents dialectes italiens -la place du toscan a été historiquement très importante- et donc si l’on met les Corses en situation de parler italien les mécanismes se remettront en route. Or tout, l’économie, la géographie, fait penser que demain nous serons toujours davantage en contact avec la péninsule italienne et il faut donc en profiter, en faire une arme et non lutter contre quelque chose qui est là pour nous sauver.
Q
Mais il y a là un problème de formation des enseignants de langue corse qui, que je sache, ne sont pas nécessairement italophones ? 

R
Ils devraient l’être. Je le dis tout net. Je n’ai rien contre personne, mais je pense qu’à moment donné, pour des raisons liées également à de vieux problèmes politiques, on a tenté de faire quelque chose de tout à fait autonome. Certains ont cru être plus efficaces ainsi. Eh bien, comme l’explique Pascal Marchetti, aujourd’hui nous avons les résultats. Et ce que nous disons dans ce petit livre, je pense que pour les Corses des années 60 c’étaient des évidences. Maintenant on l’impression de faire des découvertes. Cela doit être dit parce que sinon ces évidences disparaissent.
Q
Pascal Marchetti, quand vous aviez des responsabilités dans le domaine de la langue corse sur le plan régional, vous avez l’impression de ne pas avoir été écouté ? 

R
C’est plus qu’une impression, c’est une certitude. Je n’avais pratiquement aucun rôle à l’époque. D’ailleurs je n’avais pas alors prononcé des mots comme ceux que je viens de prononcer. On ne parlait pas encore de ce rapprochement nécessaire, parce qu’on pensait, et moi aussi je partageais l’illusion commune, qui s’est dissipée pour moi, mais persiste pour d’autres, que le corse pourrait faire son chemin tout seul, “corsu farà da sé”, je crois l’avoir même écrit. Mais à l’épreuve des faits, du temps, de la pratique quotidienne, nous nous apercevons qu’il s’agissait d’une erreur, que peut-être nous nous étions laissé emporter par l’enthousiasme mais qu’en fin de compte, certes il y a eu des progrès administratifs, institutionnels, vous autres, par exemple, vous utilisez la langue corse à RCFM, on l’utilise à la télévision, mais sur le plan de la pratique linguistique, sur le plan de la quantité et de la qualité de la langue utilisée, il n’y a pas eu de progrès, au contraire il y a eu régression. A l’époque, en 1983, nous n’avions pas encore toutes les données que nous possédons aujourd’hui et qui sont le fruit de constations récentes.
A Viva Voce N°24 1998 
Paul Colombani
17/02/2002